lundi 30 mai 2011

Rendez-vous porte 42

RENDEZ-VOUS PORTE 42

une histoire d'amour


Chapitre VI


Elle ne connaissait que son nom. Elle avait essayé Facebook mais elle n'avait rien vu qui de près ou de loin lui ressemblait. Elle avait pensé demander à Lorena qui travaillait pour American Airlines et devait avoir accès aux listes des passagers mais elle n'avait finalement pas osé. Peut-être qu'il ne repasserait pas par là avant longtemps. Peut-être qu'elle ne le reverrait jamais. Et alors ? Pourquoi cette idée lui pinçait-elle un peu le coeur ? En attendant, Anandita se faisait également du souci pour sa soeur qui sortait avec un nuyorican qui ne lui inspirait pas tellement confiance. Elle avait demandé à le rencontrer, ce qui avait bien agacé Harshada.
- Tu veux me contrôler ?
- Non, mais c'est normal que je m'intéresse à celui avec qui tu sors.
- Je sors avec qui je veux.
- Bien sûr. Personne ne t'en empêche. J'ai simplement envie de voir à quoi il ressemble. Je suis curieuse, c'est tout.
Le ciel était d'un bleu limpide, presque parfait. Anandita n'avait pas pu s'empêcher de l'admirer quelques secondes. Elle sortait d'un restaurant portoricain du Barrio, dans lequel Luis l'avait invité, avec Harshada. Le mofongo n'avait pas été une découverte pour elle depuis un voyage fait dans l'ile caribéenne, plusieurs années auparavant.
- Alors, comment tu le trouves ?
- Il est bien.
- Et ? Mais ?
- Les parents ne vont pas l'aimer.
- Parce qu'il n'est pas indien ?
- Oui. Aussi parce qu'il est plus vieux que toi.
- Tu plaisantes ? Il a trois ans de plus que moi... En fait tu penses à ce type. Le Français. Il est plus vieux que toi. vraiment plus vieux.
- Je n'en sais rien. Je ne connais même pas son nom complet alors son âge...
- Il n'est pas indien non plus. Et ça pour les parents c'est pire que tout.
- De toutes façons, je ne sors pas avec lui, moi.
- C'est vrai. Mais tu aimerais bien.
Anandita détestait quand sa soeur se montrait aussi perspicace.
-C'est dingue que tu ne connaisses même pas son nom complet. S'il ne repasse pas par la boutique, tu ne le reverras jamais ?
Elle regarda sa soeur, sourit et haussa les épaules.
- Et lui non plus, il ne t'a pas demandé ton numéro ou ton mail ?
- Non.
- Oh là là, ça m'a l'air compliqué votre histoire.
Anandita releva la tête et regarda à nouveau sa soeur.
- Il n'y a pas d'histoire. Tu regardes trop de films.
- Et toi pas assez.

lundi 23 mai 2011

RENDEZ-VOUS PORTE 42

une histoire d'amour


Chapitre V


Paul était à Paris depuis presque trois semaines. Il tentait de convaincre la famille de Nicolas Vergnes de lui céder un Ad Reinhardt. L’expertise avait conclu à une valeur minimale de cet Abstract de 1958 mais la famille Vergnes voulait faire monter l’enchère. Paul avait de bonnes relations avec Adèle Vergnes, la veuve de Nicolas. Le fait qu’il soit son neveu n’y était pas étranger.

- Papa adorait ce Reinhardt.

Ils étaient installés à la terrasse d’un café face au jardin du Luxembourg où Samuel Vergnes, le fils ainé de Nicolas, avait ses habitudes.

- Pas moi, dit Adèle.

- Moi non plus, ajouta Samuel.

- Alors vous allez aimer le céder à quelqu'un qui va l'adorer, au moins autant que Nicolas, dit Paul.

Ils passèrent encore une heure sous le soleil pour se mettre d'accord et finaliser la transaction. Paul devait repartir cet après-midi pour New York et arriver là-bas en début de soirée. Avec un peu de chance elle serait là.

L'avion partit avec beaucoup de retard, si bien (ou si mal) qu'il arriva à JFK après l'heure de fermeture du magasin. Il passa devant la boutique, le rideau de métal était baissé. Il en éprouva un petit sentiment de tristesse. Il envisagea de revenir le lendemain mais sans billet d'avion, il ne passerait pas la sécurité. Il n'avait pas son numéro de téléphone et ne connaissait que son prénom. Dans le taxi qui le ramenait chez lui, Paul se demanda s'il n'était pas temps d'arrêter. Il en avait assez de ces allers-retours entre l'Europe et les Etats-Unis, il voulait se poser quelque part et en ce moment, ce quelque part était New York.


lundi 9 mai 2011

RENDEZ-VOUS PORTE 42

une histoire d'amour


Chapitre IV


Anandita avait été insultée trois fois (dont une fois dans une langue qu'elle ne comprenait pas), draguée deux fois (mais par des hommes tellement plus âgés qu'elle qu'ils avaient dû voter pour - ou contre - Richard Nixon) et elle désespérait de voir sa journée de travail s'achever aussi lentement. Dans deux heures elle pourrait enfin tirer le rideau de métal. Elle le vit arriver de loin et le reconnut aussitôt. Elle n'avait pas vraiment fait attention à sa peau mate la première fois qu'elle l'avait vu. Il ne ressemblait pas à un américain ou à un français mais plutôt à un italien ou à un espagnol. Elle n'était jamais allé en Europe. Elle espéra qu'il allait passer par la boutique.

Il s'approcha de la caisse derrière laquelle elle se tenait et lui sourit. Il tenait dans la main deux livres dont un qu'elle connaissait.

- Bonjour, dit-il. Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi, mais vous m'avez prêté un livre de Jonathan Kellerman il y a une dizaine de jours et je tenais à vous le rendre.

- Je me souviens, oui. Je ne pensais pas que vous viendriez pour ça.

- Je passe souvent par ici et puis c'est votre livre, fit-il en lui donnant le Kellerman. En fait je pensais l'avoir perdu mais je l'ai retrouvé au fond de mon sac. Grâce à vous et à Jonathan Kellerman le voyage m'a paru moins long alors je voulais vous en offrir un autre.

Il tendit le second livre.

- C’est pour moi, vraiment ?

- Oui. J’espère que vous ne l’avez pas déjà lu. Vous êtes entourée de livres ici, fit-il en montrant de la main les piles de bouquins qui entouraient la caisse.

Anandita regarda le livre.

- Savages. Don Winslow. Je ne l’ai pas lu. Mais vous n’auriez pas dû. Je ne sais pas quoi dire. Merci.

- Vous avez le temps de prendre un café ? demanda t-il.

- Eh bien j’ai droit à une pause. Je peux la prendre maintenant mais à cette heure-là je ne vais pas boire de café.

Elle fit signe à sa collègue de la remplacer à la caisse et rejoignit Paul.

- On peut allez au Soho Bistro juste à côté, dit-elle, ils sont sympas.

Paul la suivit, il connaissait aussi l'endroit, on y servait de bons cheeseburgers. Anandita salua une femme nommée Nishelle, puisqu'on le lisait sur le badge qu'elle portait sur son chemisier bleu marine, et s'installa à une table sans attendre qu'on les place, comme cela est l'usage. Paul s'assit en face d'elle.

- Alors pas de café ?

- Non, c'est trop tard pour moi.

- Vous travaillez jusqu'à quelle heure ?

- Jusqu'à la fermeture du magasin, vingt-deux heures. Et vous, vous faîtes quoi dans la vie. J'avoue que je me suis posé la question, si vous prenez l'avion si souvent...

- Je suis marchand d'art.

- Moi aussi, fit-elle, puisque je vends des livres. Entre autres choses.

- Et ça vous plaît.

- J’aime bien l’ambiance de l’aéroport mais j’aimerais faire autre chose. Ça fait presque trois ans que je suis ici.

- Et qu’est-ce que vous voudriez faire ?

- Si seulement je le savais, soupira t-elle.