dimanche 18 septembre 2011


RENDEZ-VOUS PORTE 42
une histoire d'amour



Chapitre XIII


Paul attendait Anandita près de la porte 42 de l'aéroport John Fitzgerald Kennedy. Le personnel d'American Airlines s'agitait derrière le comptoir, signifiant aux passagers en attente que l'embarquement n'allait plus tarder. Certains se tenaient déjà debout, face à la porte, le boarding pass dans une main, une carte d'accès prioritaire dans l'autre. Il ignorait si elle allait finalement venir. Il lui avait peu parlé depuis une semaine, quelques minutes par téléphone, quelques SMS. Impossible de la voir. Malgré tout il espérait encore qu'elle serait là, dans un instant pour embarquer avec lui. A son tour il se leva. On allait appeler les passagers voyageant en première. Il en faisait partie.

- Je veux bien les rencontrer tes parents.
- Je préfère pas.
- Pourquoi ?
- Ils ne peuvent pas comprendre.
- Mais toi, qu'est-ce que tu veux ?
Elle n'avait pas répondu. Et ne pas répondre était une réponse qu'il n'aimait pas.

Les premiers à embarquer sont toujours les plus riches, du moins ceux qui ont les billets les plus chers, les sièges les plus confortables, les menus les plus appétissants et les coupes de champagne. Paul laissa passer son tour. Il voulait attendre le dernier moment, au cas où. Il voulait attendre jusqu'à entendre la voix lancer le dernier appel pour l'embarquement du vol AA pour Paris.

Le groupe cinq venait d'être appelé. Il alternait les coups d'oeil sur la porte d'embarquement et sur le couloir. Il se disait que finalement il n'allait pas partir. L'instant suivant il se disait exactement le contraire. Son sac de voyage devait être en train de passer du tarmac à la soute. Il s'en foutait.

Se tenir dans les bras l'un de l'autre, respirer sa peau, se mélanger. Paul revoyait Anandita, le premier soir qu'il l'avait embrassé, sur le trottoir de la 5ème avenue. Il pouvait encore entendre le murmure de sa voix juste après, sentir son parfum, le vent qui soulevait ses cheveux. Il voyait son sourire, il entendait son rire. il ne voyait rien d'autre.

- Monsieur ? Monsieur ?
Paul se retourna vers le grand type au costume sombre qui se tenait de l'autre côté du comptoir, juste à côté de la porte. Tous les passagers étaient passés.
- Vous prenez cet avion ?
Il lui sourit.
- Je ne sais pas, répondit-il.
- Vous êtes Paul Telher ?
Il fit signe que oui. Au même moment une voix annonça son nom et celui d'Anandita, leurs demandant de rejoindre au plus vite la porte 42 car l'embarquement allait se terminer.
- Vous devez embarquer Monsieur. Maintenant.
- J'attends quelqu'un.
- Je vais fermer la porte. Plus d'embarquement possible.
- Une minute encore s'il vous plaît.
- Si vous embarquez maintenant, c'est bon.
- Vous êtes amoureux de quelqu'un en ce moment ? demanda Paul au type d'American Airlines.
- Quoi ?
Paul s'approcha de lui et dit : "Amoureux. Vous êtes amoureux de quelqu'un en ce moment ? Parce que moi, je le suis et justement j'attends qu'elle arrive alors si on pouvait..."
- Moi je veux bien mais les passagers qui sont dans l'avion et la compagnie ne sont pas du même avis...
Il glissa la main dans la poche de son jean et en ressortit un ticket de cinéma. Ils étaient allés voir le dernier Amberton Parker. Lui n'avait pas telle aimé mais Anandita avait adoré. Elle adorait cet acteur. Si elle savait.
- Monsieur, il faut vous décider, c'est votre dernière chance de prendre cet avion...
Paul se tourna à nouveau vers le grand type d'American Airlines et lui sourit, acceptant sa défaite. Il entendit son prénom hurlé. Plusieurs fois.
- Paul, Paul...
Il recula pour voir d'où venait la voix qui l'appelait.
- Monsieur, Monsieur, je considère que vous n'embarquez pas.
- Une seconde s'il vous plaît, une seule seconde.
Il regarda et vit au loin quelqu'un courir vers lui, dépassant Brookstone puis le Soho Bistro. Il la reconnut. C'était Anandita.
- Elle est là. Elle arrive. On va embarquer, dit-il au type de la compagnie. Vous voyez, on va embarquer.
- Vous êtes sûr ?
Elle se jeta dans ses bras. L'embrassa.
- Dis-moi que tu viens avec moi... Dis-le moi. Tu viens ?
- Oui. Oui. Je viens avec toi.
Paul la prit par la main et ils se dirigèrent vers la porte d'embarquement. La porte 42.

lundi 5 septembre 2011

RENDEZ-VOUS PORTE 42

une histoire d'amour



Chapitre XII


Quand il lui avait demandé de venir avec lui à Paris, elle s'était jetée dans ses bras. Ensuite il avait fallu refaire son passeport et convaincre ses parents qu'elle était libre de faire ce qu'elle voulait (il n'avait pas participé à cette partie-là). Tout allait bien et le voyage approchait sauf que depuis plusieurs jours, elle avait un comportement différent. Il le sentait. Rien dans le discours ne semblait avoir changé mais tout dans le comportement indiquait le contraire. Paul l'attendait devant un Duane Reade près de la New York Public Library sur le 5ème. Il arriva en avance comme à son habitude et attendit en regardant passer les gens, spectacle jamais interrompu.
- Tu m'as donné rendez-vous devant une pharmacie parce que je te rends malade, c'est ça ? lui dit-elle dans un sourire juste avant de l'embrasser.
Il ne répondit pas. Pas tout de suite.
- On va se balader dans Central Park ? lui proposa t-il.
- D'accord, ça me fera du bien de marcher sous les arbres.
Ils avançaient en silence, regardant les coureurs à pied, les marcheurs, les autres promeneurs.
- J'ai quelque chose à te dire... pas drôle...
La voix d'Anandita se fit plus faible en prononçant ces mots.
- Et ? Je t'écoute.
- Je ne peux pas venir avec toi à Paris.
Elle se tourna vers lui et leva la tête.
- Je suis vraiment désolée. J'aurais tellement voulu y aller.
- Mais pourquoi ne peux-tu pas venir ?
- C'est assez compliqué à expliquer. Donc à comprendre.
- J'ai la compréhension très large, dit Paul.
- Mes parents font pression sur moi pour que me marier et ils ont déjà un candidat idéal pour ça. Je fatigue aussi avec mon boulot. Toi qui arrive dans ma vie et ce n'était pas prévu. Je ne regrette rien , ne crois pas ça... Mais je me sens comme dans un étau, comme si la mâchoire d'acier arrivait à grande vitesse. J'ai besoin de réfléchir à tout ça, j'ai besoin de temps, de m'isoler. Tu comprends ?

jeudi 18 août 2011

RENDEZ-VOUS PORTE 42

une histoire d'amour



Chapitre XI


Avant de rentrer chez lui, Paul passa voir Jo Schauer.
- Elle est très jolie ta nouvelle copine.
- Merci.
- Tu es amoureux ?
- Peut-être. Je ne sais pas. On verra bien.
- Ouais. Toujours dans le "peut-être" toi... Faudrait que tu sois un peu plus sûr de toi de temps en temps, non ?

Paul laissa Jo peu après minuit et ressortit humer l'air du Village. Il avait seulement envie de marcher, de croiser d'autres noctambules, ceux qui promenaient leur encore leur chien au milieu de la nuit, ceux qui sortaient de chez eux pour téléphoner, ceux qui s'étaient donné rendez-vous, ceux qui ne pouvaient ou ne voulaient pas dormir. La ville dort quand même un peu la nuit mais pas tous ses habitants et pas Paul. Il passa un moment dans un bar tenu par un ancien joueur professionnel de hockey qu'il connaissait bien pour l'avoir eu comme client du temps de sa splendeur. Paul se prenait parfois pour Matt Scuder...

jeudi 4 août 2011

RENDEZ-VOUS PORTE 42

une histoire d'amour



Chapitre X


L'appartement de Paul appartenait à Jo Schauer, comme l'immeuble dans lequel se trouvaient les bureaux de l'agence. Jo et Paul avaient une longue relation d'amitié depuis des années et ils se voyaient au moins une fois par semaine. Paul ne manquait jamais de passer le voir. Il occupait l'appartement d'à côté.
Paul présenta Jo à Anandita (et vice versa) lorsqu'ils se croisèrent dans le couloir. Paul dit à Jo qu'il passerait le voir le lendemain.
- Quand tu veux. A mon âge, on ne dort jamais.
Paul fit rapidement visiter son appartement à Anandita.
- Je le voyais plus grand, dit-elle.
Comme il ne répondait pas, elle dit très vite :
- Mais je le trouve très bien quand même...
Il se tourna vers elle et lui sourit.
- Moi aussi je le voyais plus grand... et puis je m'y suis habitué.
Elle s'approcha de lui et l'embrassa.
- Alors c'est toi qui prépares le repas ?
- Il doit me rester une pizza au congélateur... Mais non je plaisante... Je vais te faire un risotto milanais. Tu aimes le risotto ?
- Je ne sais pas. Je crois en avoir déjà mangé mais bon...
- Tu devrais aimer. Les gens qui ont bon goût aiment le risotto...
Paul montra à Anandita comment assurer une bonne cuisson du risotto avec le bouillon ajouté petit à petit.
- Je te ferai du tandoori, si tu veux. De l'agneau.
- J'adorerai ça.
- En fait je ne suis pas tellement cuisinière.
Ils dînèrent en tête à tête, Paul racontant quelques histoires liées à son travail, comment il avait parcouru le monde pour convaincre les collectionneurs du monde entier de lui céder un tableau pour un autre collectionneur.
- En fait tu es un intermédiaire entre des gens riches qui veulent un tableau.
- Exactement. Je suis un commerçant.
- Moi je crois que la place des tableaux, c'est dans les musées pour que tout le monde puisse les voir.
- Je suis d'accord avec toi mais tous les tableaux n'ont pas leur place dans les musées... Les collectionneurs sont des amateurs d'art et ils sont aussi là pour aider des artistes pas encore très connus. Et puis la plupart des grands chefs-d'oeuvres sont dans les musées... Et il n'y a pas tant de monde que ça pour aller les admirer d'ailleurs.
Ils finirent leur repas et Paul fit écouter à son invitée quelques musiques qu'il adorait : Miles Davis, Brecker Brothers... mais sans réussir à la convaincre.
- Je devrais rentrer, dit-elle. Je crois que je ne suis pas encore prête pour rester... Toute la nuit...
- Bien sûr. Je te raccompagne. Je prends la voiture de Jo. C'est moi qui ai les clefs. La dernière fois qu'il a conduit, il a failli nous tuer alors...

lundi 18 juillet 2011

RENDEZ-VOUS PORTE 42

une histoire d'amour



Chapitre IX


Anandita était en colère contre sa soeur. Comment avait-elle pu lui faire ça ?
- Je n'ai rien fait. Je ne l'ai même pas vu.
- Sauf que maintenant il veut savoir pourquoi tu es allée jusqu'à son bureau.
- Si je l'ai fait, c'est parce que je suis inquiète pour toi.
- Ça c'est mon rôle parce que la grande sœur, c'est moi...
- Je voulais juste le rencontrer ce type... comme toi tu as voulu rencontrer Luis...
Anandita se mit à sourire, de plus en plus.
- Pourquoi tu souris comme ça ?
- En fait je suis touchée que tu t'inquiètes, même si franchement il n'y a vraiment pas de quoi.
- Tu le revoies quand ?
- Je ne sais pas. Ce soir peut-être.
- En tout cas je veux être là quand tu le présenteras aux parents...
- On n'en est pas encore là. Et surtout tu ne dis rien, ni aux parents ni au frangin. Promis ?
- Promis.
Elle avait un message de Paul qui lui proposait de se retrouver devant le MOMA sur la 53ème en début d'après-midi. Elle lui répondit par texto qu'elle en avait très envie et passa les deux heures suivantes à essayer plusieurs tenues, aidée par Harshada dont les critiques impitoyables ne l'aidait pas beaucoup à choisir.
Elle arriva un peu en avance au rendez-vous mais Paul était déjà là. Il l'a pris dans ses bras et l'embrassa.
- Tu m'as manqué dit-il.
Elle leva les yeux vers lui et lui sourit.
- Tu veux aller au musée ? demanda t-elle.
- Il fait trop beau pour ça. Je pensais qu'on se baladerait...
- Comme tu veux.
Paul recula de deux pas et la regarda.
- Tu es magnifique.
- N'exagère pas quand même...
Ils passèrent l'après-midi à marcher dans les rues de Manhattan, chacun évoquant ses souvenirs d'enfance liés aux endroits de la ville qu'ils traversaient.
- Tu as fait toutes tes études à NYU ?
- Une petite partie. J'ai fait l'école du Louvre à Paris.
- J'aimerais beaucoup aller à Paris.
- J'aimerais beaucoup qu'on y aille ensemble.
Le soir tombait sur New York, l'estomac de Paul émit des gargouillis qui sonnaient l'heure de la faim.
- Moi aussi j'ai faim, dit Anandita.
- Alors je t'invite. A dîner. Chez moi. C'est moi qui fais la cuisine.

mardi 5 juillet 2011

RENDEZ-VOUS PORTE 42

une histoire d'amour



Chapitre VIII


- Alors, tu l'as mon tableau ?

Paul sourit à Gennaro Miccoli et s'assit en face de lui.

- Oui.

- Vraiment.

- C'est fait. Quelques papiers à fournir, assurance, douanes, etc. Je devrais le recevoir la semaine prochaine.

- Ti amo Paolo, ti amo.

Il se leva, se pencha vers Paul et le prit dans ses bras.

- Alors ça se fête !

Il leva un bras pour faire signe à l'un de ses serveurs qui revint moins d'une minute plus tard avec un seau à champagne dans lequel reposait une bouteille de Perrier Jouët.

- Le champagne, la seule chose que les Italiens peuvent envier aux Français.

Après le déjeuner avec Miccoli, Paul retourna à son bureau.

- Quelqu'un est venu pour vous voir tout à l'heure, lui dit Lynne.

- Je n'avais aucun rendez-vous prévu. Elle a laissé un mot ?

- C'était une jeune femme d'origine indienne, je dirai...

- Anandita. Elle s'appelle Anandita.

- Ce n'est pas le nom qu'elle m'a donné. Elle a dit s'appeler Harshada.

Paul passa l'après-midi à tenter de convaincre un collectionneur anglais de lui céder deux toiles de Rothko pour l'un de ses clients, mais le Guggenheim était aussi dans la partie et la perspective d'avoir une plaque dorée à son nom dans le musée new-yorkais tentait fortement l'Anglais. Même au prix de quelques millions.

Le soir, il dîna avec Armand qui lui reparla de sa volonté d'arrêter bientôt de travailler.

- Je crois que j'en ai assez fait.

- Je ne pourrai pas gérer seul toutes ces affaires, dit Paul.

- Lynne pourra être promue.

- Tu oublies qu'elle a d'autres projets.

- Son mariage ?

- Oui. Et son départ pour la Californie.

- C'est fini tout ça. Elle ne se marie plus. Le fiancé s'est fait larguer. Faut dire que c'était un vrai con.

- Ouais. Je n'avais encore jamais encore rencontré un type qui la première fois que tu le vois ne te parle que de la valeur des biens qu'il achète et des sommes qu'il gagne jour après jour. Et pourtant j'en fréquente des abrutis qui s'imaginent que leur argent fait d'eux des princes...

- Enfin bref, elle reste ici. Alors je me dis qu'elle serait parfaite pour me remplacer...

- Okay. Mais qui pour la remplacer elle ? demanda Paul.

- Tu as une idée ?

- Oui. Je connais une jeune femme qui mérite mieux que ce qu'elle fait en ce moment.

Paul rentra tard chez lui. Armand aimait écouter du jazz au Blue Note dans le Village. Comme ce soir-là, John Pizzarelli donnait l'un de ses concerts sinatresque, il l'accompagna. Entre les reprises du grand Frankie et les blagues qu'il aimait distiller, Pizzarelli les régala de son jeu rapide à la guitare et de sa voix d'un autre temps.

lundi 20 juin 2011

RENDEZ-VOUS PORTE 42

une histoire d'amour



Chapitre VII

- Mon nom complet est Paul Telher.
Anandita le regarda droit dans les yeux.
- Comme : "tell her" ?
- Oui.
Paul était venu la chercher un peu avant la fermeture du magasin. Elle ne l'avait pas vu depuis presqu'un mois. Elle avait été surprise de le voir. Ravie aussi. Ravie surtout.
- J'ai lu le livre que tu m'as offert.
- Et ?
- C'est assez spécial. Il y a des moments magnifiques. C'est très violent parfois.
- Don Winslow est un grand écrivain. Pour moi.
- Tu ne lis que des romans policiers ?
- Non. Je lis aussi des revues spécialisées sur le marché de l'art.
Paul l'avait invité dans un petit restaurant andalou du village, près de son bureau de Washington Square. Elle n'avait pas pu dire non, malgré sa promesse de rejoindre sa soeur pour l'aider à préparer une soirée d'anniversaire pour son nuyorican. Son téléphone portable n'arrêtait pas de vibrer au fond de sa poche. Harshada allait lui en vouloir. Terriblement.
La nuit était claire et fraîche. Anandita se serrait dans un long voile bleu ramené du Kerala par l'une de ses tantes.
- Vous avez froid ? demanda Paul.
- Un peu.
Ils marchaient doucement sur la cinquième avenue.
- Je vous appelle un taxi pour rentrer chez vous, si vous voulez.
- Je ne suis pas pressée, dit-elle.
Paul ôta sa veste et la déposa sur les épaules d'Anandita.
- Vous allez avoir froid.
- Ne vous inquiétez pas, je n'ai jamais froid.
- C'est pratique quand on habite New York.
- Surtout que je supporte également très bien la chaleur et ici, c'est aussi utile.
- Vous êtes né aux États-Unis ?
- Non, je suis né à Rome mais j'ai grandi ici. Ma mère est américaine et quand mes parents se sont séparés, elle est revenue vivre dans son pays. Avec moi.
- Et votre père est italien ?
- Non mais il était diplomate. En poste à Rome quand je suis arrivé...
Ils marchèrent ainsi plus d'une heure, devisant sur leurs origines respectives.
- Je suis née aux États-Unis, comme ma sœur et mon frère mais mes parents sont indiens. Ils ont dû fuir leur pays car ils étaient de castes différentes et là-bas ça peut être un risque mortel. et malgré cela, malgré ce qu'ils ont vécus, ils restent très traditionalistes dans leur comportement. Par exemple ils n'aiment pas si ma sœur ou moi on sort avec des non-indiens...
Paul sourit.
- Et ça arrive souvent ?
- Que je sorte avec des hommes qui ne sont pas d'origine indienne ?
- Hmm.
- En fait oui. A chaque fois.
- Imaginons par exemple que tu sortes avec un franco-américain , un peu plus âgé que toi mais au charme certain, que diraient tes parents ?
Anandita s'arrêta, se tourna vers Paul et dit :
- Ils ne seraient pas contents. Mais je m'en fous parce que... moi... j'adorerais ça !
Il se pencha vers elle et l'embrassa. Avec douceur et assurance. Elle ne le repoussa pas. Il n'avait pas pu s'en empêcher, pas cette fois. Elle était là en face de lui, lui parlant, lui souriant et lui ne pensait qu'à une seule chose : saisir ses lèvres. Il ne l'écoutait plus, ne lui souriait plus. Il l'embrassa furtivement puis plus longuement.

lundi 30 mai 2011

Rendez-vous porte 42

RENDEZ-VOUS PORTE 42

une histoire d'amour


Chapitre VI


Elle ne connaissait que son nom. Elle avait essayé Facebook mais elle n'avait rien vu qui de près ou de loin lui ressemblait. Elle avait pensé demander à Lorena qui travaillait pour American Airlines et devait avoir accès aux listes des passagers mais elle n'avait finalement pas osé. Peut-être qu'il ne repasserait pas par là avant longtemps. Peut-être qu'elle ne le reverrait jamais. Et alors ? Pourquoi cette idée lui pinçait-elle un peu le coeur ? En attendant, Anandita se faisait également du souci pour sa soeur qui sortait avec un nuyorican qui ne lui inspirait pas tellement confiance. Elle avait demandé à le rencontrer, ce qui avait bien agacé Harshada.
- Tu veux me contrôler ?
- Non, mais c'est normal que je m'intéresse à celui avec qui tu sors.
- Je sors avec qui je veux.
- Bien sûr. Personne ne t'en empêche. J'ai simplement envie de voir à quoi il ressemble. Je suis curieuse, c'est tout.
Le ciel était d'un bleu limpide, presque parfait. Anandita n'avait pas pu s'empêcher de l'admirer quelques secondes. Elle sortait d'un restaurant portoricain du Barrio, dans lequel Luis l'avait invité, avec Harshada. Le mofongo n'avait pas été une découverte pour elle depuis un voyage fait dans l'ile caribéenne, plusieurs années auparavant.
- Alors, comment tu le trouves ?
- Il est bien.
- Et ? Mais ?
- Les parents ne vont pas l'aimer.
- Parce qu'il n'est pas indien ?
- Oui. Aussi parce qu'il est plus vieux que toi.
- Tu plaisantes ? Il a trois ans de plus que moi... En fait tu penses à ce type. Le Français. Il est plus vieux que toi. vraiment plus vieux.
- Je n'en sais rien. Je ne connais même pas son nom complet alors son âge...
- Il n'est pas indien non plus. Et ça pour les parents c'est pire que tout.
- De toutes façons, je ne sors pas avec lui, moi.
- C'est vrai. Mais tu aimerais bien.
Anandita détestait quand sa soeur se montrait aussi perspicace.
-C'est dingue que tu ne connaisses même pas son nom complet. S'il ne repasse pas par la boutique, tu ne le reverras jamais ?
Elle regarda sa soeur, sourit et haussa les épaules.
- Et lui non plus, il ne t'a pas demandé ton numéro ou ton mail ?
- Non.
- Oh là là, ça m'a l'air compliqué votre histoire.
Anandita releva la tête et regarda à nouveau sa soeur.
- Il n'y a pas d'histoire. Tu regardes trop de films.
- Et toi pas assez.

lundi 23 mai 2011

RENDEZ-VOUS PORTE 42

une histoire d'amour


Chapitre V


Paul était à Paris depuis presque trois semaines. Il tentait de convaincre la famille de Nicolas Vergnes de lui céder un Ad Reinhardt. L’expertise avait conclu à une valeur minimale de cet Abstract de 1958 mais la famille Vergnes voulait faire monter l’enchère. Paul avait de bonnes relations avec Adèle Vergnes, la veuve de Nicolas. Le fait qu’il soit son neveu n’y était pas étranger.

- Papa adorait ce Reinhardt.

Ils étaient installés à la terrasse d’un café face au jardin du Luxembourg où Samuel Vergnes, le fils ainé de Nicolas, avait ses habitudes.

- Pas moi, dit Adèle.

- Moi non plus, ajouta Samuel.

- Alors vous allez aimer le céder à quelqu'un qui va l'adorer, au moins autant que Nicolas, dit Paul.

Ils passèrent encore une heure sous le soleil pour se mettre d'accord et finaliser la transaction. Paul devait repartir cet après-midi pour New York et arriver là-bas en début de soirée. Avec un peu de chance elle serait là.

L'avion partit avec beaucoup de retard, si bien (ou si mal) qu'il arriva à JFK après l'heure de fermeture du magasin. Il passa devant la boutique, le rideau de métal était baissé. Il en éprouva un petit sentiment de tristesse. Il envisagea de revenir le lendemain mais sans billet d'avion, il ne passerait pas la sécurité. Il n'avait pas son numéro de téléphone et ne connaissait que son prénom. Dans le taxi qui le ramenait chez lui, Paul se demanda s'il n'était pas temps d'arrêter. Il en avait assez de ces allers-retours entre l'Europe et les Etats-Unis, il voulait se poser quelque part et en ce moment, ce quelque part était New York.


lundi 9 mai 2011

RENDEZ-VOUS PORTE 42

une histoire d'amour


Chapitre IV


Anandita avait été insultée trois fois (dont une fois dans une langue qu'elle ne comprenait pas), draguée deux fois (mais par des hommes tellement plus âgés qu'elle qu'ils avaient dû voter pour - ou contre - Richard Nixon) et elle désespérait de voir sa journée de travail s'achever aussi lentement. Dans deux heures elle pourrait enfin tirer le rideau de métal. Elle le vit arriver de loin et le reconnut aussitôt. Elle n'avait pas vraiment fait attention à sa peau mate la première fois qu'elle l'avait vu. Il ne ressemblait pas à un américain ou à un français mais plutôt à un italien ou à un espagnol. Elle n'était jamais allé en Europe. Elle espéra qu'il allait passer par la boutique.

Il s'approcha de la caisse derrière laquelle elle se tenait et lui sourit. Il tenait dans la main deux livres dont un qu'elle connaissait.

- Bonjour, dit-il. Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi, mais vous m'avez prêté un livre de Jonathan Kellerman il y a une dizaine de jours et je tenais à vous le rendre.

- Je me souviens, oui. Je ne pensais pas que vous viendriez pour ça.

- Je passe souvent par ici et puis c'est votre livre, fit-il en lui donnant le Kellerman. En fait je pensais l'avoir perdu mais je l'ai retrouvé au fond de mon sac. Grâce à vous et à Jonathan Kellerman le voyage m'a paru moins long alors je voulais vous en offrir un autre.

Il tendit le second livre.

- C’est pour moi, vraiment ?

- Oui. J’espère que vous ne l’avez pas déjà lu. Vous êtes entourée de livres ici, fit-il en montrant de la main les piles de bouquins qui entouraient la caisse.

Anandita regarda le livre.

- Savages. Don Winslow. Je ne l’ai pas lu. Mais vous n’auriez pas dû. Je ne sais pas quoi dire. Merci.

- Vous avez le temps de prendre un café ? demanda t-il.

- Eh bien j’ai droit à une pause. Je peux la prendre maintenant mais à cette heure-là je ne vais pas boire de café.

Elle fit signe à sa collègue de la remplacer à la caisse et rejoignit Paul.

- On peut allez au Soho Bistro juste à côté, dit-elle, ils sont sympas.

Paul la suivit, il connaissait aussi l'endroit, on y servait de bons cheeseburgers. Anandita salua une femme nommée Nishelle, puisqu'on le lisait sur le badge qu'elle portait sur son chemisier bleu marine, et s'installa à une table sans attendre qu'on les place, comme cela est l'usage. Paul s'assit en face d'elle.

- Alors pas de café ?

- Non, c'est trop tard pour moi.

- Vous travaillez jusqu'à quelle heure ?

- Jusqu'à la fermeture du magasin, vingt-deux heures. Et vous, vous faîtes quoi dans la vie. J'avoue que je me suis posé la question, si vous prenez l'avion si souvent...

- Je suis marchand d'art.

- Moi aussi, fit-elle, puisque je vends des livres. Entre autres choses.

- Et ça vous plaît.

- J’aime bien l’ambiance de l’aéroport mais j’aimerais faire autre chose. Ça fait presque trois ans que je suis ici.

- Et qu’est-ce que vous voudriez faire ?

- Si seulement je le savais, soupira t-elle.

lundi 25 avril 2011

RENDEZ-VOUS PORTE 42

une histoire d'amour


Chapitre III


Paul revint à New-York moins d'une semaine plus tard. Comme l'avion n'atterrit pas au terminal habituel, il n'eut pas l'occasion de passer par la boutique pour rendre le livre. Mais il nota d'en acheter un autre. Pour la remercier. Il n'avait pas vraiment pensé à elle pendant ces quelques jours. Sauf au moment de faire ses bagages. Il avait voulu emmener le Kellerman pour le lui rendre. Il l'avait cherché partout dans sa chambre d'hôtel mais en vain. Il avait pensé le lui racheter, puis s'était dit qu'il le ferait à l'aéroport mais il avait oublié. A présent il n'avait rien pour elle et n'était pas dans le bon terminal. Il verrait ça à son retour.

Le taxi l'emmena directement à son bureau situé au pied de Washington Square. Le bâtiment dont son associé et lui occupaient tout un étage n'appartenait pas à l'Université de New-York, comme certains autres autour de la place, mais à un vieil excentrique nommé Jo Schauer, devenu depuis un bon client de Paul. Aussi un ami. Paul salua Lynne, l'assistante de son associé et se rendit directement à son bureau pour y déposer ses affaires. Armand vint le rejoindre alors qu'il allumait son ordinateur.

- Tu es venu directement ?

- Oui. J'ai rendez-vous avec Miccoli. Il veut qu'on lui trouve un Reinhardt.

- Encore ? Pas facile à trouver.

- J'ai une piste. Un collectionneur français mort l'année dernière. La famille est en négociation avec l'Etat pour la succession. La dation avait été envisagée mais finalement l'option de la vente s'avère plus intéressante pour les héritiers...

- Toujours dans les bons coups toi.

Paul prit une douche et se changea avant de retrouver son client pour un déjeuner tardif. Le restaurant appartenait à Gennaro Miccoli qui en possédait trois autres à Manhattan. Miccoli était le petit-fils d'un émigré italien débarqué comme tant d'autres de son Ombrie natale au début du vingtième siècle. Il devait sa fortune à son père qui après avoir repris le commerce de bouche du vieux, eut l'idée d'ouvrir d'autres épiceries "typiquement" italiennes, proposant des produits de grande qualité à une clientèle fortunée. Les restaurants finirent d'assurer une assise financière certaine à la famille Miccoli. L'homme faisait bien ses soixante dix ans. Il attendait Paul, assis au bar devant ce qui semblait être un White Russian. Dès qu'il le vit, Miccoli lui offrit son large sourire et le prit dans ses bras.

- Comment fut le voyage ? demanda t-il.

- Aussi tranquille que d'habitude.

- Moi je déteste ça prendre l'avion. Même en première.

Ils s'installèrent dans un salon privé ordinairement réservé aux meilleurs clients. Miccoli commanda son plat favori : escalopes de porc de Norcia.

- La viande arrive directement de là-bas. Comme le chef.

Paul le savait puisqu'il le lui disait à chaque fois qu'ils mangeaient ensemble.

- Tu sais, dit Miccoli, j'ai vraiment envie de goûter à ton risotto.

- J'ai peur que tu sois déçu.

- Je te le dirai si ce n'est pas à la hauteur de mes attentes.

- Bien. De toutes façons ce que tu attends de moi c'est que je te trouve un Ad Reinhardt, non ?

- Exactement. J'en rêve la nuit.

- Alors je vais peut-être pouvoir faire en sorte que ton rêve devienne réalité. C'est mieux qu'un risotto, non ?


lundi 11 avril 2011

RENDEZ-VOUS PORTE 42

une histoire d'amour


Chapitre II


Anandita ne ferma la boutique qu'un peu après vingt-deux heures. Elle aurait bien voulu partir plus tôt mais avec les retards accumulés de presque tous les vols de la soirée, les clients s'étaient précipités pour acheter de quoi se nourrir et passer le temps. Et puis elle n'était pas à l'abri d'un contrôle. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre son emploi. Son frère était venu la chercher. Elle n'aurait pas à prendre le Airtrain puis le bus pour rejoindre le Queens. Il l'attendait devant la boutique tandis qu'elle abaissait la grille et activait l'alarme.

- Où es-tu garé ?

- Au sous-sol. Je dois passer voir quelqu'un en chemin.

- Ah non. Pas d'accord, ça va encore durer des heures. Tu me ramènes à la maison directement.

Il n'insista pas. Il savait que c'était inutile avec Anandita. Ils mirent un peu plus d'une demi-heure pour rejoindre le Queens, ce qui finalement n'était pas si mal. Elle vivait dans un appartement confortable avec ses parents, ses deux frères et sa soeur, avec laquelle elle partageait une chambre. Leur faible différence d'âge les rendaient encore plus proches l'une de l'autre.

- Tu sors ? demanda Anandita à Harshada.

- J'ai rendez-vous avec Luis.

- Le portoricain ?

- Oui. J'espère que cette fois il va au moins essayer de m'embrasser !

- C'est quoi ces mecs n'osent jamais rien ?

- Ouais. C'est un peu agaçant à la longue...

mercredi 30 mars 2011

Rendez-vous Porte 42

RENDEZ-VOUS PORTE 42

une histoire d'amour



Chapitre I.



Il ne savait pas quoi prendre. Il hésitait entre le dernier Jonathan Kellerman et un magazine sur les voyages dont la couverture offrait une vue impressionnante de fjords norvégiens. Il fallait que ça lui fasse tout le vol car il savait qu’il n’allait pas dormir. Il détestait les vols de nuit mais il n’avait pas pu avoir de places ailleurs dans un délai aussi court. Il se retrouvait donc à devoir prendre le vol American Airlines de 21.00 pour Paris. Il arriverait à 11.00 le lendemain matin et il n’aimait pas ça. Le magazine ne lui ferait pas la nuit et le Kellerman était donc un choix judicieux. Il pourrait prendre les deux. Il prit aussi une petite bouteille d’eau et se dirigea vers la caisse. Il n’était pas le seul et attendit quelques minutes que vienne son tour. Les gens devant lui étaient visiblement des Français, parlant fort, se disputant même. L’homme criait presque parce que sa femme ne retrouvait pas le billet de cinq dollars qu’il prétendait lui avoir donné plus tôt.

- On n'aura pas assez pour payer maintenant... Tu pourrais faire attention.

- On paiera avec la carte

- Pour des chips et un soda ?

- Écoute, je ne retrouve pas cet argent alors ou bien on paie avec la carte ou bien on ne prend rien ! Que veux-tu que je te dise ?

Paul leurs tendit un billet de cinq. Ils se retournèrent et le regardèrent comme s'il avait mis une main aux fesses de la femme (ou de l'homme).

- Cela m'est déjà arrivé, dit-il en français, et quelqu'un m'a donné un billet alors je me suis toujours dit que je ferais pareil. Si vous prenez le vol transatlantique, je comprends que vous ayez besoin de ça.

- Eh bien merci monsieur, répondit l'homme en prenant le billet et en se retournant vers la caisse car c'était son tour.

Quand on lui avait tendu le billet, Paul avait quand même d'abord refusé. Après avoir payé, les Français empochèrent la monnaie et, laissant la place à leur bienfaiteur, lui adressèrent un sourire rapide et partirent sans un mot. Paul en sourit et s'approcha de la caisse. La jeune femme lui prit les articles qu'il lui tendait en lui disant bonsoir. Il répondit et ressortit son portefeuille. Il en avait pour quatorze dollars et quelques. En sortant les billets, il se rendit compte qu'il lui en manquait quatre pour pouvoir payer.

- Je suis désolé, dit-il, je croyais qu'il me restait plus. Vous prenez la visa ?

- Euh la machine est en panne, c'est écrit là.

Il la regarda vraiment pour la première fois. Elle était indienne ou d'un pays où les hommes et les femmes ont la couleur du miel.

- Dans ce cas, je crois que je vais me passer du Kellerman.

- C'est dommage pour vous, répondit-elle, c'est l'un de ses meilleurs.

- Vous l'avez lu ?

- Je les lis tous. Si vous n'aviez pas donné cet argent aux Français, vous pourriez vous l'offrir.

- Ma générosité me perdra.

- Attendez.

La jeune femme se pencha sous son comptoir et se releva en tendant un livre à Paul.

- C'est le Kellerman. Je vous le donne.

- Merci mais je ne peux pas accepter.

- Votre générosité vous récompense, dit-elle.

Paul prit le livre en souriant.

- Je vous le rapporte à ma prochaine visite..

- Vous passez souvent par JFK ?

- Au moins une fois par semaine.

- Alors on se reverra.


Il paya ce qu'il devait, remercia encore la jeune femme et se dirigea vers la porte d'embarquement de son vol. Il remarqua le couple de Français qui faisaient déjà la queue pour passer la porte alors que le personnel n'avait pas encore commencé d'appeler les groupes. Il s'assit et commença à lire le Kellerman.